Les 30 novembre et 1er décembre 2017, le rappeur lyonnais Lucio Bukowski organisait au marché gare une release party de l’album Requiem/Nativité sorti une semaine plus tôt. A domicile, l’artiste affichait complet deux soirs de suite.
« Vous connaissez la salle ? Vous savez si on peut fumer tranquille dedans ? ». A peine arrivé devant le marché gare, un spectateur harangue un groupe dans la file d’attente. « Chais pas. En général, quand le rappeur craque un joint sur scène, dans la salle tu t’en balek. C’est l’image que j’ai des concerts de rap en tout cas ». C’est mal connaître le bonhomme qui se produit ce soir.
Le rappeur lyonnais a invité les producteurs Milka et Nestor Kéa pour assurer la première partie. Nestor fait le show. Il attaque sa NPC en pulvérisant les records d’a.p.m. des meilleurs joueurs de Guitar Hero. Lorsqu’il crie au public de faire du bruit sans utiliser son micro, il ressemble à un forain aguichant les badauds. Face au phénomène, la salle dandine tranquillement de la tête. De son côté, Milka reste davantage en retrait et joue sobrement. Le set dure une grosse demi-heure.
Les lumières se rallument dans la salle. Une prof de français raconte que la dernière fois qu’elle a vu Lucio sur scène, toute sa classe de prépa à l’agrégation était présente. Ils avaient alors catalogué l’artiste de « rappeur de prof ». Une assertion qui résonne, malheureusement, comme une évidence.
Les basses recommencent à résonner depuis la salle. Au premier abord Lucio paraît moins agité que lors des premiers concerts de l’Animalerie. Pas moins percutant, il semble simplement plus calme, à l’image de ses derniers albums. Ou peut-être est-ce dû à son accident du dos à l’origine de l’EP l’Homme alité.
Le concert débute sur Sphinx, titre tiré de son nouvel album. Il alterne les titres de Requiem/Nativité avec d’autres tracks de ses projets les plus récents. Mention spéciale à Franck Mickael, certainement le morceau le plus conflictuel dans sa section commentaire sur youtube. Le lyonnais est à l’aise sur scène mais se permet d’oublier quelques paroles. Une preuve de plus qu’il est difficile de s’y retrouver dans la jungle de sa discographie, même pour l’auteur lui-même.
Heureusement pour mon voisin de file d’attente, Oster Lapwass répond présent pour élever le taux de THC sur scène. Tout comme le niveau d’alcool, qu’il avoue avoir surconsommé durant le show. Le beatmaker rate même un enchaînement, mais le public ne lui en tient pas rigueur. Le duo chambre aussi bien le public que leurs collègues. Lorsque Lapwass annonce les sons provenant du nouvel album, Lucio répond qu’on « se croirait à un concert de Disiz ». Et Oster de surenchérir, lançant un titre en playback. « Ouais t’as raison, on dirait vraiment un concert de Disiz ».
Les deux compères appellent tour à tour Nestor et Milka sur scène pour les titres issus de l’Art raffiné de l’ecchymose et Hourvari. Le public est alors plus réceptif que lors de leur première partie. Nestor s’en amuse en relançant ses « faites du bruit » à la foule.
Les producteurs ne sont pas les seuls mis à l’honneur. Lorsque Bukowski annonce des invités, la salle réclame Anto. « Il est en prison ». C’est donc Robse qui monte sur scène. Il entame alors son Stress et palette avant de s’essayer à une reprise de Renaud. Puis Lucio reprend sa place pour quelques titres, issus toujours de Requiem/Nativité, avant de laisser Oster assurer l’interim le temps d’aller chercher Eddy. Le petit génie du groupe débarque comme une fleur cinq minutes plus tard. Il présente à la salle ses nouvelle mèches violettes et deux de ses morceaux, dont le toujours imparable 2015. Après un feat sur Paraponera, le beauf sublime retourne à ses bouteilles en backstage.
Bukowski reprend alors les choses en main pour la dernière ligne droite du set. Requiem/Nativité est encore une fois mis à l’honneur. Le rappeur demande régulièrement aux techniciens de baisser l’intensité des spots, jusqu’à finir totalement dans le noir.
Oster annonce la fin du concert et quitte son perchoir laissant simplement tourner une instru mélancolique. Lucio ramène alors un tabouret et un pupitre sur le devant de la scène. Il tient dans la main droite ce qui semble être une quarantaine de pages. « Il y a ceux qui vont aimer, ceux qui vont détester et ceux qui vont pas savoir quoi en penser » annonce-t-il. Il se lance alors dans une lecture de poème longue de 20 minutes. A la fin il rajoute « en fait y a une quatrième catégorie. Ceux qui discutent pendant que tu fais ton truc. Il mime ‘t’as vu le dernier clip de Kekra ?’. C’est désagréable. Allez boire une bière dans ce cas-là ».
Autour de moi, la prof de français est entrée en transe. Un autre spectateur explique « franchement, il a commencé son truc j’étais là ‘vas-y mec, donne ce que t’as à donner’ ».
Reste un dernier titre avant un rappel sur le Clin d’œil du borgne. Le concert se termine pour de vrai cette fois-ci. On retrouve le crew près du bar. Une queue constante s’est formée devant le stand de cd. La prof de français repart avec un vinyle et, plus tard, une photo. Ça chambre encore. Le public quitte la salle un peu étourdi par ces deux heures et demi de concert si particulières.
Avec ce nouvel album, Lucio continue de construire son œuvre. En attendant, nous on a bouffé chaque seconde de cette performance live.