Evoquer The Clash en 2018 c’est, semble-t-il, invoquer les fantômes d’une ère révolue. C’est parler d’une époque où le rock et le punk dominaient l’industrie musicale avant d’être lentement, mais inexorablement, remplacés au sommet des charts par les musiques électroniques et le rap.
Le groupe britannique a pourtant joué son rôle dans la transition entre ces deux époques. Ses membres fondateurs, Joe Strummer et, surtout, Mick Jones, ont poussé un public amoureux des riffs de guitares saccadés à découvrir de nouveaux genres musicaux. Une ouverture présente dans l’adn du groupe.
Dès sa création, en 1977, The Clash a su s’approprier les codes du punk tout en lui offrant une profondeur supplémentaire grâce aux influences reggae et ska. Une identité propre à la scène londonienne en raison de l’importance de la communauté caribéenne et des blocks party au sein de la capitale anglaise.
En 3 ans de carrière seulement, avec les sorties de leurs albums The Clash, puis Give ‘Em Enough Rope, mais surtout de London Calling, le groupe s’est installé dans le paysage musical mondial. Leur quatrième album est alors autant attendu par le public punk que par le public mainstream. Au début de l’année 1980, le groupe est pourtant en panne d’inspiration.
Pour pallier ce vide artistique, les Clash s’offrent une liberté de création totale. Ils négocient avec leur maison de disque afin de sortir un triple album au prix d’un simple. En échange, ils renoncent à leurs royalties sur les 200 000 premières ventes. Le choix d’un triple album mènera le groupe à conserver sur le disque final l’ensemble de leurs expérimentations. En découle un disque inégal dans la qualité de ses titres, certains n’étant clairement pas aboutis, voire n’étant que de simples concepts.
Afin de nourrir davantage son inspiration, le groupe souhaite également enregistrer Sandinista ! dans quatre villes différentes : Londres, Manchester, Kingston et New-York. En Jamaïque, The Clash collabore avec Mickey Dread. Il compose les versions dubs de 7 titres de l’album, mais ne sera crédité qu’en tant qu’ingénieur du son. Ces incursions dubs viennent confirmer, s’il en était besoin, l’amour que porte le groupe à la musique caribéenne, tout en s’ouvrant un peu plus à la musique électronique.
Mais c’est bel et bien la session d’enregistrement aux Etats-Unis qui fera basculer le sort du groupe. En 1980, le rap a définitivement conquis New-York, avec les succès de Grandmaster Flash et du Sugar Hill Gang. Mick Jones se laisse emporter par cette effervescence, au point d’être affublé du surnom peu enviable de « Whack Attack », mais c’est l’ensemble du groupe qui est séduit par ce nouveau genre d’expression.
Alors que le bassiste régulier du groupe, Paul Simonon, est occupé par un tournage, Norman Watt-Roy est appelé en remplacement par le groupe. Il compose alors la ligne de basse de « The Magnificient Seven », morceau le plus facilement identifiable comme inspiré par les scènes funk et rap. Joe Strummer improvise les paroles en imitant le flow des rappeurs, tandis que Mick Jones et Topper Headon assurent les backs. Le titre, choisi comme première piste et premier single de Sandinista !, est un succès aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. « The Magnificient Seven » surfe en effet sur le carton de « Rapper’s Delight » qui tourne alors en boucle dans les stations.
A Londres, le pont entre les deux publics se franchit naturellement, les artistes punks et les rappeurs américains se partageant la salle de concert The Roxy. Un lieu également fréquenté par les graffeurs qui terminent de faire le lien entre les deux cultures. D’autant plus que la même année, The Clash collabore également avec l’artiste américain Futura 2000 , figure incontournable du graffiti new-yorkais, pour le morceau « Graffiti Rap ».
Un autre morceau directement inspiré par le rap, « Lighting Strikes (Not Once But Twice) », est enregistré durant les sessions new-yorkaises. Malgré un sketch d’introduction dans lequel Joe se moque des animateurs radios, le morceau est décevant et sonne presque comme un copycat de « The Magnificient Seven ». Il sera tout de même conservé dans la version finale de Sandinista !.
Malgré des singles plébiscités, l’album est un semi-échec commercial. Les 200 000 albums sur lesquels les membres ont cédé leurs royalties ne s’écoulent qu’en deux ans. C’est aussi le début de la fin dans la relation entre Mick Jones et les autres Clash. Les influences funk et rap du fondateur déplaisent à Bernie Rhodes. Le manager du groupe n’a alors de cesse de militer auprès de Strummer et Simonon afin d’évincer Jones. En 1983, un communiqué de presse publié par le magazine musical anglais NME annonce l’exclusion de Mick Jones pour avoir « dévié des idéaux originels des Clash ».
Déjà en 1982, Bernie Rhodes demande au groupe de remanier l’album Rat Patrol From Fort Bragg, initialement produit par Jones. Les versions des singles sont raccourcies quand certains morceaux disparaissent tout simplement. L’album sort finalement sous le titre Combat Rock, une manière de rappeler au public à quel genre appartient The Clash, et de signifier à Mick Jones que ses expérimentations n’y ont pas leur place.
Blessé par ce licenciement, Mick Jones continue tout de même son travail de recherche musicale en conservant les mêmes influences, punk, caribéenne et hip-hop, notamment à travers son groupe Big Audio Dynamite. Sa contribution à l’histoire de la musique moderne est régulièrement reconnue par ses héritiers, parmi lesquels il est aisé de reconnaître Damon Albarn. Les deux jouent d’ailleurs côte à côte dans le super-groupe The Good, The Bad and The Queen et Mick Jones participent avec Paul Simonon à la confection de Plastic Beach et The Fall de Gorillaz.
Plus récemment une marque de chaussures réunis même Jones et Simonon avec Frank Ocean et le producteur Diplo. Ce dernier, bien qu’il montre un plus faible respect envers ses aînés, n’hésite pas à reconnaître à cette occasion que « probablement l’une de mes plus importantes production s’appelait Paper Planes de M.I.A.. J’ai samplé leur chanson Straight To Hell, donc on se connaissait mutuellement par l’intermédiaire de nos avocats j’imagine ».
En 2018, les règnes du rock et du punk sur l’industrie musicale sont révolus. Leur imagerie est pourtant mise en avant par une partie de la nouvelle scène rap. Leur énergie est invoquée durant les concerts, les circle pit se reforment, les épaules se percutent dans des pogos. Dans une interview à Yard, le rappeur italien Sfera Ebbasta explique qu’à « l’origine le rock incarnait une certaine forme de révolte, il s’agissait d’avoir une attitude, des propos qui ne soient pas dans la norme. Cette mentalité, c’est dans le rap qu’on la retrouve désormais […] : ce n’est plus le rock, mais le rap, la trap ou le hip-hop – peu importe comment on le dénomine ; mais l’essence est la même ».
C’est aussi une ouverture musicale et une transmission, incarnées notamment par le travail de Mick Jones. S’il n’a jamais été un pionner, il a su capter l’émergence de nouvelles cultures afin de les transmettre à un public plus large.
Texte : Thibault Durand
Illustrations : Booket